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Philosophie politique du bikepunk

De forts soubassements politiques et philosophiques étayent Bikepunk, le nouveau et palpitant roman de science fiction de l’écrivain belge Ploum (Lionel Dricot). Campant son récit dans le genre post-apocalyptique il décrit le monde vingt ans après un accident technologique majeur qui a tué la quasi totalité de la population de la planète, rendu aveugles les rares survivants, décimé également la faune, et neutralisé tout objet fonctionnant ne serait-ce que partiellement à l’électricité. Les rescapés et leurs descendants (qui, eux, sont voyants car nés après l’événement) s’organisent dès lors en tribus pour tenter de survivre. Le lecteur suit les pérégrinations d’une très jeune adolescente aux jurons sophistiqués et d’un énigmatique vieux sage qui, perchés sur leurs vélos, fuient leur communauté.

Ces deux bourlinguent d’un clan local à l’autre, et c’est précisément dans la typologie des organisation et fonctionnement des petites collectivités que réside une première dimension politique du livre. L’auteur différencie une tribu écolo-fondamentaliste et luddite s’organisant en mode d’autogestion, une commune autoritaire et militariste aux forts relents natalistes, eugénistes et scientistes, ainsi qu’une bande nomade, anarchiste et punk. Les relations entre les trois communautés idéologiquement opposées se structurent d’abord forcément par des conflits et rapports de pouvoir.

On ne peut qu’être frappé par les similitudes avec le roman post-apocalyptique Malevil de Robert Merle, publié en 1972. Là aussi, une catastrophe technologique majeure – dans ce cas une guerre nucléaire - a détruit la vaste majorité de l’humanité, les quelques survivants s’organisent en petites tribus guerrières, faune et flore ont en bonne partie disparues, et l’électricité n’existe plus. La bicyclette, en tant que mode de transport, y joue également un certain rôle, mais beaucoup moindre que dans Bikepunk, à l’avantage des chevaux.

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Les deux auteurs, Ploum et Merle, détaillent les multiples régressions découlant de l’apocalypse : retour à l’état de nature hobbésien et incitation à en sortir par de nouveaux contrats sociaux à petite échelle; perte des machines autres que rudimentaires (vélo, arbalète, machine à écrire, fusil, etc.) et de la médecine moderne ; précarité matérielle ; et surtout aussi le recul brutal du statut social de la femme, ramené à celui d’une machine à reproduire, dans un « attachement quasi animal à la continuation de l’espèce » (Robert Merle, Malevil, Paris : Gallimard, 1972, p. 629).

Toutefois, l’originalité de Bikepunk réside dans l’optimisme, voire l’hardiesse, que le récit trépidant diffuse à chaque instant de lecture, au-delà d’une sévère critique de la civilisation technicienne qui rappelle celle, philosophique, de Günther Anders, là où l’histoire de Malevil se cantonne sur plusieurs centaines de pages dans une ambiance lourde et morose, fortement empreinte de religiosité théocratique. Car Ploum parvient à dépasser la dystopie catastrophiste en nourrissant savamment quelques espoirs par le recours à des utopies politiques. D’une part, il ouvre toute grande la porte de la liberté individuelle, et le vélo en est le vecteur de prédilection. Plus qu’un simple mode de transport il devient art de vivre. Mais le néo-médiévalisme politique prend chez lui une senteur libertaire également sur un autre plan, puisque, là encore à la grande différence de Robert Merle, l’auteur insiste sur l’indispensable pacification d’un monde bouleversé par la catastrophe et marqué par une incessante lutte pour la survie et la reproduction. En effet, il suggère l’idée anarchiste classique d’une fédération de petites cités autogérées et souveraines, régie par un pacte de paix, de trocs et de coopération.

L’analyse du socle théorique du livre ne doit en aucun cas occulter le fait que l’écriture de la trame narrative habilement construite demeure légère et agréable à lire (et n’avait nullement besoin d’un post-scriptum explicatif). On dirait presque un scénario de film. Donc, si le roman Malevil a bel et bien été porté à l’écran - en 1981 par Christian de Chalogne - il n’y a aucune raison que Bikepunk ne se dédouble pas un jour en véritable... off-road movie!